Les limites du recours à l’étymologie

L’étymologie, qui retrace l’origine et l’évolution historique d’un mot, est souvent perçue comme une clé pour comprendre le sens des termes dans les textes anciens, notamment dans les études bibliques. Cependant, son usage en exégèse et herméneutique présente des limites significatives. Cette page explore ces contraintes avec rigueur, tout en restant accessible à un public varié.

Une illusion méthodologique

L’etymological fallacy (erreur étymologique) consiste à présumer que l’origine d’un mot détermine son sens dans un texte donné. Par exemple, le mot grec ἀγάπη (agapè) est souvent traduit par « amour divin » en raison de son usage fréquent dans le Nouveau Testament. Pourtant, son étymologie, liée à l’idée d’affection ou d’estime, ne garantit pas ce sens précis dans tous les contextes. Un mot évolue avec le temps, et son usage contemporain ou contextuel prime sur son origine.

Pourquoi l’étymologie peut induire en erreur :

  • Évolution linguistique : Les langues changent. Un mot peut perdre ou gagner des connotations au fil des siècles, rendant son sens originel inadéquat pour un texte ultérieur.

  • Polysémie : Un même mot peut avoir plusieurs sens selon le contexte. L’étymologie ne permet pas de discriminer entre ces significations possibles.

  • Intention de l’auteur : Le sens d’un mot dépend de la manière dont l’auteur l’emploie, pas de son histoire. Par exemple, dans la Septante (traduction grecque de l’Ancien Testament), ἀγάπη peut désigner un amour profane, contrairement à l’interprétation théologique ultérieure.

Le contexte : la véritable clé du sens

En exégèse, le sens d’un mot doit être déterminé par son contexte linguistique, littéraire et théologique. Voici les approches privilégiées pour une interprétation rigoureuse :

  • Analyse lexicale : Examiner comment le mot est utilisé dans le texte étudié, dans d’autres écrits du même auteur ou dans des textes contemporains. Par exemple, dans 1 Corinthiens 13, ἀγάπη est définie par ses qualités (patience, bienveillance), non par son étymologie.

  • Contexte historique et culturel : Les mots reflètent les conventions d’une époque. Comprendre les pratiques sociales ou religieuses de l’auteur aide à cerner le sens visé.

  • Intertextualité : Dans la Bible, un mot peut être chargé de sens par son usage dans d’autres passages. Par exemple, λόγος (logos) dans Jean 1:1 évoque des concepts philosophiques et théologiques bien au-delà de son étymologie (« parole » ou « raison »).

L’étymologie comme outil

L’étymologie n’est pas inutile, mais elle doit être reléguée à un rôle secondaire. Elle peut :

  • Éclairer l’histoire d’un concept : Retracer l’évolution d’un mot peut révéler des nuances subtiles, comme la transition de ἐκκλησία (assemblée profane) vers son sens chrétien d’« Église ».

  • Susciter des hypothèses : L’étymologie peut suggérer des pistes d’interprétation, à condition de les vérifier par une analyse contextuelle.

Cependant, elle ne doit jamais primer sur l’usage attesté dans le texte. Comme le souligne le linguiste James Barr dans The Semantics of Biblical Language (1961), « le sens d’un mot est son usage dans la langue, non son origine ».

Implications pour l’exégèse

Pour les exégètes et les herméneutes, éviter l’erreur étymologique implique :

  • Prioriser les outils lexicographiques : Utiliser des dictionnaires comme le Greek-English Lexicon of the New Testament (BDAG) ou le Theological Dictionary of the New Testament (TDNT), qui privilégient l’usage contextuel.

  • Adopter une approche interdisciplinaire : Combiner linguistique, histoire et théologie pour une interprétation nuancée.

  • Sensibiliser le public : Dans les sermons ou enseignements, clarifier que l’étymologie, bien que fascinante, peut égarer si elle est mal utilisée.

Conclusion ?

L’étymologie est une fenêtre sur l’histoire des mots, mais une fenêtre étroite. En exégèse et herméneutique, elle doit céder la place à une analyse rigoureuse du contexte, de l’usage et de l’intention de l’auteur. En privilégiant ces méthodes, les chercheurs et les lecteurs, qu’ils soient universitaires ou non, peuvent accéder à une compréhension plus fidèle des textes sacrés.

Ressources pour aller plus loin :

  • Barr, James. The Semantics of Biblical Language. Oxford University Press, 1961.

  • Louw, Johannes P., et Eugene A. Nida. Greek-English Lexicon of the New Testament Based on Semantic Domains. United Bible Societies, 1988.

  • Silva, Moisés. Biblical Words and Their Meaning: An Introduction to Lexical Semantics. Zondervan, 1994.

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