La Transfiguration
AT Ex 3,1-8a 10.13-14
Épître 2 Co 4,6-10
Évangile Mt 17,1-9
Ce matin nous sommes invités à gravir une montagne. Non pas physiquement, rassurez-vous ou alors il aurait fallu qu'on s'organise un petit peu. Nous sommes appelés à gravir une autre montagne ; certains diraient une montagne spirituelle, je ne sais pas s'il faut le dire comme cela. Toujours est-il que comme Pierre, Jacques et Jean, nous sommes amenés à nous tenir avec le Christ et à être témoins d'un mystère : la Transfiguration. Alors, que faut-il faire des mystères ? Vous allez me dire, et je serais assez de cet avis, qu'un mystère ça se contemple, et que d'une certaine manière il n'y a pas grand-chose à en dire. Un mystère, ça se contemple ou on s'en passe. Mais ça attire quand même la curiosité. Et comme nous y sommes, avec Pierre, Jacques et Jean il n'est peut-être pas interdit de nous demander ce que nous contemplons, ce qui nous est donné à contempler. Qu'est-ce encore que cette affaire de transfiguration ?
La montagne
D'abord, dans les Écritures, la montagne est un lieu privilégié de rencontre entre Dieu et l’humanité. Le premier texte de ce dimanche d'ailleurs nous le rappelle : c’est sur une montagne que Moïse rencontre Dieu, dans le buisson ardent. Le texte d’Ex 3 nous raconte comment Dieu, dans une manifestation de feu qui ne consume pas, se révèle à Moïse et l'appelle à libérer son peuple. Dieu dit : « Je suis descendu pour délivrer mon peuple. » Cette descente n'est pas physique mais exprime l'engagement de Dieu à intervenir dans l'histoire humaine. Dieu se fait proche, il agit, il appelle.
Sur la montagne gravie en Mt 17, nous retrouvons Moïse et Élie, figures de la Loi et des Prophètes, aux côtés de Jésus. Cette présence est hautement symbolique : elle montre que Jésus accomplit à la fois la Loi donnée à Moïse et les promesses prophétiques portées par Élie. Mais plus encore, elle nous montre que toutes ces manifestations convergent vers une seule réalité : Dieu se révèle pleinement en Jésus-Christ.
La gloire révélée et voilée : un mystère accessible ou inaccessible ?
Sur la montagne de la Transfiguration, le Christ se révèle dans sa gloire. Le texte nous dit que « son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière » (Mt 17,2). Cette gloire est celle de Dieu lui-même, une gloire à laquelle Moïse est confrontée Ex 3 puisqu'il se voile la face (v. 6). Dieu lui avait ordonné d'enlever ses sandales, mais le texte dit, littéralement : « Moïse cacha son visage car il avait peur de regarder Dieu »[1]. Pourtant, alors que Moïse devait voiler son visage de peur d'être exposé à la gloire divine ici, c’est Jésus lui-même qui rayonne, sans intermédiaire. Il est la source de la lumière.
Mais cette gloire elle-même rdoit rester voiler, y compris pour les autres disciples, jusqu’à un moment clé : la résurrection. En effet, Jésus leur commande : « Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts » (Mt 17,9). La résurrection est la clef de lecture ultime de la Transfiguration. Ce que les disciples voient sur la montagne est une anticipation de la gloire pascale. Le mystère se donne et se refuse; se dévoile et se voile.
Ce qui se passe sur la montagne nous rappelle que la gloire divine — mais disons aussi bien Dieu — bien qu’accessible, est toujours un mystère qui ne peut être pleinement saisi qu’à la lumière de la foi. Dieu se révèle progressivement, en respectant notre capacité à recevoir sa lumière. Mais Dieu nous échappe toujours. Il n'est pas question de mettre la main sur Dieu. Pour reprendre le mot de Saint Augustin, si comprehendes non est Deus. Si tu comprends, ce n'est pas Dieu. Si tu/je crois avoir compris, attention...
Un appel à la transformation
Ce qui a intrigué et continue d'intriguer, c'est quand même cette transfiguration ou pour parler comme le récit, cette transformation. La transformation n’est pas qu’une révélation de la gloire — comprenons de son importance — de Jésus-Christ, de qui il est vraiment ; elle est aussi une invitation. Ce qui se manifeste de Jésus sur la montagne, est promis à tous ceux qui le suivent. Là j'en viens à notre deuxième lecture (2 Co 4,6-10) où Paul évoque la « gloire qui rayonne sur le visage du Christ ». Juste quelques ligne plus haut Paul dit : « Nous tous [...] nous reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande par le Seigneur » (2 Co 3,18). Cette transformation est notre participation à la nature divine.
Vous allez dire : on n'en sort. Le mystère, pourquoi pas ? Mais encore faut-il que ça me parle, et cette participation à la nature divine, pour quoi faire ? Tout d'abord, je vous dirais peut-être ce qui me moi me parle, c'est d'abord qu'il s'agit d'un chemin. Et que chemin n'est pas épargné par la souffrance et la croix. Ce chemin le mien, le nôtre, ce chemin – appelons-le Dieu – n'est pas épargné par la souffrance et la croix.
Ensuite, le passage de l'Épître nous parle de la tension entre la gloire divine qui brille en nous et la réalité de notre condition humaine. Il écrit : « Nous portons ce trésor dans des vases d’argile, afin qu’il apparaisse que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous. » (2 Co 4,6-10) Cette image du vase d’argile est éclairante : nous sommes fragiles, mais c’est précisément dans notre faiblesse que la gloire de Dieu peut rayonner.
La symbolique de Moïse et Élie : un chemin vers la plénitude
Revenons à Moïse et Élie, qui apparaissent aux côtés de Jésus lors de la Transfiguration. Ces deux figures représentent à la fois l’Ancienne Alliance, mais aussi des étapes fondamentales dans nos cheminements spirituels de croyants ou tout simplement dans nos chemins humains. Parlons frustration d'abord. Moïse, figure emblématique de la Loi, représente l'appel à la fidélité et à l'obéissance à la Parole de Dieu. Cependant, il est aussi le symbole d’un échec — je ne sais pas s'il faut dire échec, mais nous-mêmes aujourd'hui n'est-ce pas le mot que nous utilisons poiur ces situations — d'une promesse frustrée. Moïse, rappelons-le, n’a pas pu entrer dans la Terre promise, mais, me direz-vous, il a vu de loin l'accomplissement de la promesse de Dieu.
Élie maintenant. Élie représente certes les prophètes — Moïse, la Loi; Élie, les prophètes — il est aussi l’espérance, l'attente. Comment le dire ? L'attente des choses dernières, de la toute fin. Élie, le prophète emporté au ciel dans un char de feu, est associé à l’attente messianique. Il est celui qui doit revenir pour préparer le chemin du Seigneur (Mal 3,23-24). Dans la Transfiguration, Élie ne prépare plus seulement la venue du Messie : il contemple avec Moïse celui qui est la plénitude des temps, celui qui inaugure le règne de Dieu, Jésus/Christ.
Ses deux vies illustrent que nous sommes en chemin, tendus vers une réalité que nous ne possédons pas encore pleinement — et que nous n'il ne s'agit sans doute pas de posséder. On l'a dit : on ne met pas la main sur Dieu. Mais on peut être en communion avec Dieu, on peut être baigné de sa gloire. On n'a pas comme Moïse devant le buisson ardent à détourner la tête ou à la cacher. Sur la montagne de la Transfiguration, il nous est donné de contempler enfin le Christ cet accomplissement et ses fins dernières qu'ont vu Moïse et Élie, qu'ont visé la loi et les prophètes.
Alors cette transformation personnelle ? Car la scène de la Transfiguration ne se limite pas à une vision réservée à Pierre, Jacques et Jean. La voix du Père le proclame : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma joie ; écoutez-le ». Nous sommes appelés à refléter cette gloire dans nos vies, dans nos quotidiens. Mais comment cela se réalise-t-il concrètement ? Je vous propose un schéma qui vaut ce qu'il vaut. Il n'est pas de moi et vous le trouverez peut-être banal, mais il peut servir.
Premier temps, c'est celui de l’ascension spirituelle : comme les disciples qui montent sur la montagne avec Jésus, nous sommes appelés à quitter nos préoccupations terrestres pour entrer dans une intimité plus profonde avec Dieu. Cette ascension exige du temps, de la prière, et souvent un certain recueillement, en tout cas de pouvoir se recentrer sur l’essentiel.
Un second temps, celui de la contemplation de la gloire divine. J'ai bien conscience que c'est mots, parfois on n'en peut plus ou alors il n'évoque plus rien. Mais, à travers la Parole, les sacrements, le baptême ou la Sainte-Cène, nous contemplons cette lumière du Christ. Cette lumière n’est pas extérieure à nous : elle illumine les profondeurs de notre être, révélant à la fois notre fragilité et notre vocation divine, au sens où Dieu nous appelle à lui et nous renvoie vers les autres.
C'est le troisième et dernier temps. Il ne s'agit jamais de rester sur la montagne. Ni Jésus, ni Moïse, personne ne reste sur la montagne. Personne ne reste bloquer avec Dieu ou personne ne bloque la ligne. Il y a un moment pour la rencontre et un moment où la rencontre est terminée. Comme Jésus et les disciples redescendent de la montagne, nous sommes appelés à retourner dans le quotidien. Mais il reste quand même quelque chose de la rencontre. La lumière, notamment, n’est pas réservée à un moment extraordinaire sur une montagne ; elle doit éclairer nos relations, nos choix, et notre témoignage dans le monde. Et redisons-le. Oui, nous portons cette lumière dans des vases d’argile. Ces vases, fragiles et imparfaits, symbolisent notre humanité marquée par la faiblesse, la vulnérabilité. Mais c’est précisément dans cette fragilité que la puissance de Dieu se manifeste.
La Transfiguration nous rappelle que la vocation chrétienne n’est rien de moins qu’une entrée dans la gloire divine. Elle n'est pas la fin des problèmes, la fin des souffrances. Ce n'est pas une gloire qui vise à nous rendre invincible, tout-puissants, supérieurs, invulnérable - que nous ne pourrions plus être blessés. Ce n'est pas entrer dans le royaume. Comme l'Église d'ailleurs n'est pas le royaume. Mais l'appel de Dieu, c'est l'entrée dans sa lumière. Une gloire d'ailleurs qui n'est pas réservée à quelques élus ou à des moments exceptionnels : elle se rencontre dans le cheminement que nous décidons de faire à la suite de Jésus. Cette gloire, ne se manifeste pas toujours de manière spectaculaire. Souvent, elle se cache dans la banalité du quotidien, dans les gestes simples de l’amour et dans l’espérance qui persiste au milieu des épreuves. Elle se donne et se cache aussi dans les plus petits d'entre nous dans lesquels Jésus nous invite à le reconnaître. Elle se donne et se cache dans celles et ceux que nous croisons et dont Jésus nous approche à nous faire prochain, celles et ceux que nous ne comprenons pas, qui sont aussi des mystères pour nous, mais que l'Évangile nous fait comprendre qu'eux aussi sont aimés de Dieu, eux aussi ont part à cette lumière. Une lumière qui transforme, qui transfigure, et qui, à travers chacun, n'en finit pas d'illuminer le monde. Amen.
[1] C'est un peu plus loin dans Exode la fameuse histoire des cornes de Moïse (Ex 34,29-35) —Je vous renvoie à la statue de Moïse par Michel-Ange — où Moïse redescendant du Mont Sinaï « ne s’était pas aperçu que la peau de son visage était ‘qaran’». Les premiers traducteurs grecs et aujourd'hui la plupart des traductions traduisent par « rayonnant, resplendissant ». Il semblerait qu'il faille bien traduire comme l'avait fait Jérôme, traducteur de la Bible en latin, par cornu, mais ça c'est une autre histoire.