Le train à la vue bloquée
Ac 16,25-26
25 Vers le milieu de la nuit, Paul et Silas priaient et chantaient les louanges de Dieu ; les prisonniers les entendaient.
26 Tout à coup il se produisit un grand tremblement de terre : les fondations de la prison furent ébranlées ; à l'instant même, toutes les portes s'ouvrirent et tous les liens se détachèrent.
J'avais eu le plaisir de venir vous voir au mois de décembre. J'accompagnais la pasteure et je me suis réjoui quand j'ai appris que je pourrais revenir aujourd'hui pour ce moment de culte avec vous. Vous avez donc été dans mes pensées pendant ce temps de Noël puis d'Épiphanie et c'est à cette prédication aujourd'hui que je pensais alors que je revenais à Bordeaux. Après deux changements de train, je me suis retrouvé à monter dans un train dont toutes les vitres — le train entier — toutes les vitres côté droit étaient recouvertes de peintures, de « tags ». Eh bien, même pour un trajet d'une heure et demie, c'est une expérience assez désagréable. Alors, peut-être pour m'en amuser ou parce que je n'avais pas trop le choix, ou encore parce que c'est ce que je fais quand je suis mal à l'aise, j'intellectualise, je rentre en moi, toujours est-il que j'ai cherché à trouver du sens et déformation professionnelle j'ai réfléchi à un texte biblique. Celui que nous venons de lire. Je me suis plu à penser que Paul et Silas, par leurs prières et leurs chants à Dieu, auraient pu enlever cette méchante peinture et que j'aurais retrouvé la verdure du Périgord, que j'allais pouvoir voir la Dordogne puis la Garonne quand nous passerions sur les ponts. D'une certaine manière, c'est ce qui s'est passé, puisque perdu dans mes rêveries, j'ai fini par oublier que la vue était bloquée. Je voyais le Périgord, ses champs, ses haies, ses rivières, ses châtaigniers, les flots de la Dordogne... Puis un voyageur bruyant, assez désagréable, est monté, parlant fort au téléphone et s'inquiétant auprès de son interlocuteur de ce que la police était dans le train...
Ces deux versets à propos de Paul et Silas, m'ont rappelé à notre condition humaine. Parfois notre vue est entravée par des obstacles qui nous empêchent de voir au-delà de notre situation actuelle. Mais la Bible nous enseigne que même au cœur de l'obscurité, Dieu agit pour briser nos chaînes et ouvrir nos horizons.
Paul et Silas ont été enfermés. Leur vue aussi est bloquée. Ils n'ont commis aucun crime. Pas plus que les passagers de mon train n'avaient de raison d'être privés de vue. Ce qui est reproché à Paul et Silas c'est d'avoir proclamé la Bonne Nouvelle. Leur captivité illustre une réalité universelle : notre vue peut se retrouver bloquée pour beaucoup de raisons différentes. Parfois aussi — et quand on a vécu un peu, on en sait quelque chose — beaucoup de choses contribuent à obscurcir notre vision. Parfois cela vient du dehors, parfois cela vient du dedans. Et quand ce n'est pas, ou plus soi-même, qui vit cela, cela peut être quelqu'un à qui l'on tient. Bon.
Alors quel chemin nous montrent Paul et Silas, ou plutôt que nous dit la Bible ? Ces situations n'ont pas le dernier mot. On peut faire confiance. On peut agir. Pour Paul et Silas, c'est la prière et la louange. Mais cela peut être bien autre chose. Oui, il y a des personnes qui se sentent obligés de peindre des trains, oui il y a des gens qui parlent fort ou qui montrent peu de disposition à la vie en collectivité, mais nous n'avons pas à leur laisser toute la place. Comme Paul et Silas nous n'avons pas à nous laisser submerger, ou nous laisser obstruer la vue. Pour eux, cela consiste à prier et chanter des louanger. La prière devient un cri vers Dieu, un acte de confiance en sa présence au cœur des difficultés, voire de l'épreuve. La louange, même dans l'épreuve, c'est dire que Dieu est souverain, qu'il est au-delà des vues bouchées ou empêchées. On l'a vu dans l'histoire et même l'histoire récente. La foi peut devenir une force de résistance. La prière n'est pas une activité pour les mièvres. Ce n'est pas simplement une manière d'accepter — même si bien sûr il y a des choses qu'il faut endurer, et la prière peut y aider — la prière peut être une force de résistance.
Et pour une bonne raison, elle nous met en connexion avec un Dieu qui nous aime libre, un Dieu qui agit pour libérer.
Notre texte nous le dit « il se produisit un grand tremblement de terre : les fondations de la prison furent ébranlées. » Les portes s’ouvrent ; les chaînes tombent. Dieu n’est pas indifférent. Tout comme dans l’Exode, Dieu intervient pour briser les chaînes des captifs. Un Dieu « collectif » comme on dirait dans le sport, je ne sais pas comment il faut dire... ce ne sont pas seulement Paul et Silas qui sont libérés, mais tous les prisonniers. C’est un signe de la justice du Royaume de Dieu : la libération n’est jamais individuelle, mais communautaire.
Les vues obstruées, les horizons bouchés n’ont jamais le dernier mot avec Dieu. La foi chrétienne nous pousse à voir par-delà, car nous croyons en un Dieu qui ouvre des voies, qui ouvre des chemins là où il n’y en avait pas, qui restaure des vues, qui redonne des perspectives. Que cela vienne du dedans ou du dehors. Au dedans ou au dehors, Dieu nous invite — à sa manière à lui, avec sa douceur à lui, sans forcer, sans brusquer, mais avec cette lumière et cette chaleur qui sont les siennes — Dieu nous invite, nous prend par la main pour que nous soyons, nous aussi, un peu de cette lumière, pour que nous renvoyions, nous aussi, un peu de sa lumière et de sa chaleur, pour que la lumière et l'horizon de vienne pas seulement de l'autre côté de la vitre ou, quand il nous semble qu'elle devrait venir de dehors, que la lumière renaisse —se ravive— aussi un peu en nous, dans notre dialogue, dans notre communication avec lui ou avec Jésus ou avec l'Esprit. Je dis l'Esprit parce que parfois cette lumière nous vient de la fréquentation des livres, de la contemplation des arts, de l'écoute de la musique ou de la conversation. Quelle que soit la forme de sa présence, soyons assurés que Dieu est avec vous et nous baigne de sa lumière. Amen