Toujours prier

Lc 18,1-8

Prédication prononcée le mardi 15 octobre 2024 à l’Institut Protestant de Théologie de Montpellier

Lectures Jb 16,09-22 | Ps 88, 2-11 | Évangile selon Luc 18, 1-8 (NBS)

1 Il leur disait une parabole, pour leur montrer qu’il faut toujours prier, sans se lasser. 2 Il dit : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et qui n’avait d’égard pour personne. 3 Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : « Rends-moi justice contre mon adversaire. » 4 Pendant longtemps il ne voulut pas. Mais ensuite il se dit : « Bien que je ne craigne pas Dieu et que je n’aie d’égard pour personne, 5 néanmoins, parce que cette veuve m’importune, je vais lui rendre justice, de peur que jusqu’à la fin elle ne vienne me casser la tête. » 6 Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit le juge injuste. 7 Et Dieu ne ferait pas justice à ceux qu’il a choisis, alors qu’ils crient vers lui jour et nuit ? Il les ferait attendre? 8 Je vous le dis, il leur fera justice bien vite. Mais quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?

Vous avez peut-être vu passer une vidéo en lien avec la sortie d’un documentaire où un vidéaste nous explique : « On peut échouer, mais on n’a pas le droit d’abandonner. L’échec nous fait apprendre. L’abandon, c’est quand on décide d’arrêter alors que l'on a encore la force de continuer » Vous allez me dire : quel rapport avec notre parabole, l’histoire d’une veuve confrontée à un juge qui ne respecte ni Dieu ni les hommes ? 

La parabole est claire, on ne manque pas d’indices : Je relis le premier verset « Il leur disait aussi une parabole pour leur montrer qu’il faut toujours prier et ne pas se décourager (Bovon) ». Puis les trois derniers versets viennent encore nous expliquer ce que nous devons comprendre : La parabole est un raisonnement par récurrence, c’est-à-dire qu’elle fonctionne sur la base de l’a fortiori : le juge inique – disons le juge sans foi ni loi – finit par craquer. Alors si un tel mauvais juge finit par faire droit à la personne qui a le juste droit/ou une personne aussi faible et isolée que l’est une veuve, alors nous n’avons vraiment pas à nous inquiéter, nous dont la requête s’adresse à Dieu, et peut-être nous qui sommes moins isolés, bien moins qu’une personne aussi fragile socialement qu’une veuve dans le contexte de la société antique, puisque le texte pose la question rhétorique : « Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus ? » Rien moins que ça. Ses élus. Le contraste est immense entre la solitude de cette veuve, sa fragilité et ce mot massif qui donnerait à entendre que Dieu a mis de côté, choisi, appelé à part un nombre d’êtres humains pour… ? Pour quoi exactement, ça notre texte ne le dit pas. Alors tout ça c’est très bien. En tout cas, la partie sur la constance de la prière. Nous serons tous d’accord. Et si moi je n’étais pas d’accord, je me souhaiterais à moi-même de faire cette expérience – qui peut mettre du temps, très longtemps – cette expérience des bienfaits de la prière. En tout cas de pouvoir remettre à Dieu sa colère, sa frustration, ce qui nous ronge parfois à un tel point, de pouvoir le remettre à Dieu dans ces moments où nous nous adressons directement à lui, où nous avons ce colloque amoureux ou contrarié avec lui, mais où nous sommes en ligne directe avec lui. On le dit, on le répète à longueur de temps : le protestant a un accès direct à Dieu. C’est vrai que nous ne nous encombrons pas d'intermédiaires pour parler à Dieu — On nous appelait à un moment les tutoyeurs de Dieu — Nous avons cette relation avec Dieu, au sens où on est encore en relation avec quelqu’un même quand on ne lui parle plus ou quand on lui en veut. Et cette parabole nous rappelle cela. Elle nous rappelle aussi que nous pouvons demander des choses à Dieu. En terme technique on parle de « prière de pétition ». Je vous dirais que j’ai pour ma part longtemps eu des problèmes avec les « prières de pétition ». Dieu sait ce qui est bon pour nous. Il sait mieux que moi ce dont j’ai besoin, il le sait avant que je lui demande. Je voulais bien encore demander quelque chose pour les autres, mais pour moi cela m’a longtemps semblé bien étrange. Heureusement, il y a de temps en temps une prédication, une enseignante, un catéchète, une pasteure ou un animateur pour rappeler, me rappeler, nous rappeler que Jésus lui-même nous invite à demander à Dieu avec confiance. Vous pensez sûrement à  « Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez. » (Mt 21,22) ; «  Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite. » (Jn 16,24) ; ou le Sermon sur la Montagne : « Demandez, et l'on vous donnera (Mt 7,7). Alors pourquoi donner plus de poids aux passages nombreux eux aussi qui invitent à ne pas assommer Dieu en « multipliant de vaines paroles » (Mt 6,7-8) ou encore les passages qui montrent du doigt ceux « qui, sous prétexte de longues prières, dévorent les maisons des veuves » (Mc 12,38-40). 


Donc va pour la prière constante, pour la persévérance dans la prière ! Mais si je retire les commentaires ou gloses – je parle du premier verset et des trois derniers versets de notre péricope – qui me disent quoi penser de ce petit texte, il ne ne me reste plus que 5 petits versets : «  Il y avait dans une ville… » à la force évocatrice redoutable. «  Il y avait dans une ville… » Et si nous les écoutions pour eux-mêmes ? Car, après tout, est-ce encore une parabole si on me dit ce que je dois en penser ? Est-ce que le texte remplit encore sa fonction de me parler, de me déplacer, de me dire quelque chose de nouveau ici, ce matin, si le tableau est caché par la forêt des panneaux ? Pourquoi me dit-on déjà ce que je dois comprendre et penser ? Attention, je ne dis qu’il faille toujours, à tout prix, chercher un autre sens. Il peut arriver que le sens soit évident et qu’il n’y ait rien d’autre à chercher. Ce n’est pas non plus la peine de tirer le texte – comme on dit – pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Mais il y a plusieurs choses qui m’empêchent d’aller directement à la conclusion qu’on nous propose ici. 

- Notre texte nous dit qu’il faut rappeler aux croyants de ne pas se décourager. Ah bon, on peut être croyant et se décourager ? Bonne nouvelle ! L’auteur de Luc va même plus loin : les élus – rien de moins – les élus crient. Je ne dis pas « prient ». Ils crient. Le mot est souvent employé pour parler de la prière, mais c’est quand même le verbe crier. Vous conviendrez que ce n’est pas exactement la prière sereine et détendue. On nous dit, qui plus est, qu’ils crient « nuit et jour » ;

- Et puis il y a autre chose dont on ne se défait pas facilement, c’est cette image odieuse du juge à la profession de foi cynique, cet homme qui revendique ni craindre Dieu ni respecter les hommes. Et un court instant, certes pour la repousser, l’image forte, impressionnante, la comparaison de Dieu à cet homme-là. Oui, oui pour dire que Dieu n’est en rien comme cet homme-là. Qu’il y a un abîme entre cet homme-là et Dieu. Mais par la force de l’image, par le mécanisme de la parabole, un instant, de part et d’autre de l’abîme, il nous est demandé de contempler Dieu et cet homme, Dieu dans toute sa justice et cet homme dans son abjection. Et que voyons-nous ? Cet homme peut faire le bien – du moins faire droit – par confort, pour se ménager, pour ne pas se compliquer la vie. Et que nous dit-on ? Dieu, a fortiori, nous fera justice, fera justice à celle, à celui qui prie. Mais alors que devons-nous penser quand Dieu ne nous fait pas droit ? Que devons-nous penser quand nous avons l’impression que les veuves de notre temps, les plus fragiles ici, aujourd’hui n’ont pas part ou ne semblent pas avoir part à la justice divine ? Là j’en reviens à notre vidéaste et sa force de la volonté, son injonction aux coups de menton, au marche ou crève de la réussite, coûte que coûte. C’est qu’ils n’ont pas assez prié ? qu’ils nous pas été assez persévérants, consistants ? S’ils ont perdu leur combat contre la maladie – expression détestable – c’est qu’ils n’ont que quelque part ils ont fait relâche ? Bien sûr que non.

Je pense pour ma part – et je peux me tromper – que s’il y a tant d’explications avant et après le texte, c’est que notre petite parabole n’ignore rien de ces aspects plus sombres, plus pessimistes. Le dernier verset ne demande-t-il pas « Cependant le Fils de l’homme, lors de sa venue, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Oui, faire l’expérience de la prière, oui prier sans relâche – métier du chrétien pour Luther –, cette expérience à laquelle nous ne pouvons que nous inviter les uns les autres tellement elle est existentielle, tellement elle est une pratique qui au long d’une vie se transforme, évolue, se forme, elle qui constitue notre colloque intérieur avec notre Père, cette expérience ne fait pas l’économie de l’épreuve, du doute. La foi, ce n’est pas le contraire du doute. C’est ça la bonne nouvelle. Dieu continue de faire droit, sans cesse, ici et maintenant, même quand nous souffrons trop pour voir qu’il nous porte, même quand nous crions trop pour encore l’entendre, même quand nous ne le sentons plus  – je ne sais pas comment il faut le dire – à l’autre bout du fil. Même quand nous sommes comme la veuve, dans un état de fragilité terrible, en but aux tracas du monde, en procès ou inquiétés par des personnes indifférentes ou franchement hostiles, oui nous avons le droit d’être insistants, oui nous pouvons demander à Dieu même sans relâche, même pour nous, même s’il est déjà censé savoir ce qu’il nous faut, même si ce que nous demandons est mesquin, même si ce que nous demandons est illusoire. Nous n’avons pas à nous faire plus propres, plus beaux, plus justes comme si nous pouvions tromper Dieu et lui faire croire que nos demandes ne sont pas ce qu’elles sont – oui bien sûr teintées d’égoïsme – ne sont pas à l’hauteur de ce que serait la prière. Nous n’avons pas à nous censurer devant Dieu. Et ce serait bien illusoire. Ce que peut-être nous dit cette parabole ce matin, ce n’est pas les coups de menton et cette religion de la volonté – si on veut, on peut – c’est qu’on peut être fragile, qu’il peut arriver de douter, de nous demander à quel juge nous avons affaire. À la fin la veuve est rétablie dans son droit, mais on peut imaginer que cela ne la restaure pas exactement dans sa situation initiale. L’issue heureuse d’un procès n’efface pas tout, ça ne se passe pas là. Si même les élus crient, si croire c’est aussi cela, pas nécessairement la confiance tranquille – mais elle n’est pas interdite, n’allons pas penser / ce serait un contresens / que croire c’est être dans cette souffrance-là, cette épreuve-là, tout le temps. Non, bien sûr, on a bien le droit de vivre dans la foi apaisée, de connaître la prière apaisante, et elle l’est. Je disais combien on peut se rappeler de confier sa colère, sa frustration dans la prière, que c’est encore la prière. Mais s’il devait n’y avoir encore que des cris, jour et nuit, pour la justice, alors oui, le Fils de l’homme trouverait la foi sur la terre. 

Amen

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