Jésus pleure
Jn 11,32-37
Prédication prononcée le 21 mai 2024 en l’église Saint-Martin de Séniergues (Haut-Quercy, Occitanie) à l’occasion d’un culte d’annonce de l’Évangile aux familles en deuil
Lecture | Évangile selon Jean 11, 32-37[1]
32 Marie, lorsqu'elle arriva à l'endroit où était Jésus, le voyant, tomba à ses pieds, lui disant : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. 33 Jésus, lorsqu'il la vit en pleurs ainsi que [les Judéens] qui l'accompagnaient, frémit en son âme et se troubla 34 et il dit : « Où l'avez-vous mis ? » Ils lui disent : « Seigneur, viens et vois. » 35 Jésus pleura. 36 [Les Judéens] disaient : « Voyez comme il l'aimait ! » 37 Mais quelques-uns d'entre eux dirent : « Celui qui a ouvert les yeux de l'aveugle n'a-t-il pas pu faire en sorte que celui-ci ne meure pas ? ».
Prédication
I. Courte exégèse
Jésus arrive dans un village. C’est le village d’une fratrie, un frère, Lazare, et deux sœurs, Marie et Marthe, dont on sait qu’elles sont des intimes de Jésus. Que nous dit l’Évangile de Jean ? Un verset entier est consacré à ceci : Jésus pleure. On le sait, on le voit ailleurs dans l’Évangile : Jésus n’est pas impassible. Il se met parfois en colère. Une fois même le voit-on changer d’avis sur le sens de sa mission : c’est sa rencontre avec la femme cananéenne. Ici son amie Marie attend quelque chose de lui. Marie qui lui porte une confiance absolue : c’est ce que nous dit notre passage quand il nous est rapporté qu’elle tomba à ses pieds. Cette proskynèse – c’est le terme technique – est l’expression de la foi, de l’attente confiante de Jésus à opérer des miracles. Mais avant le miracle – vous savez que le mot miracle dans le texte grec veut en fait dire « un signe », comme un panneau qui pointe dans une direction, avant la résurrection proprement miraculeuse de Lazare qui suit nos versets, le premier signe, c’est l’émotion de Jésus que l’Évangile de Jean nous donne à voir. Alors les exégètes ont listé quatre possibilités d’interprétation de cette violente émotion de Jésus. Je cite Jean Zumstein. Cette émotion marquerait :
« - L’expression de la solidarité et de la sympathie de Jésus pour les personnes plongées dans le deuil ;
- [Elle pourrait marquer] la colère de Jésus face à l’incrédulité des endeuillés ;
- [Elle serait alternativement] une colère dirigée contre la puissance de la mort ;
- L’anticipation symbolique de sa passion imminente. »[2] Fin de la citation
J’ajouterais pourquoi pas tous les quatre à la fois. Après tout, c’est bien le sens du trouble, et c’est bien aussi ce qui nous envahit quand nous sommes confrontés à la perte d’un être cher. Ne sommes-nous pas, face à la mort, vrillés de tellement d’émotions contraires, contradictoires, mais pas seulement d’émotions, aussi des raisonnements contraires qui débouchent toujours – particulièrement face à la mort, puis dans le deuil – à l’impuissance ? Mais l’accent prédominant des verbes utilisés par l’auteur du quatrième évangile va dans le sens de la colère face à la puissance de la mort qui anéantit l’œuvre de Dieu. Cette puissance de la mort nous la voyons à l’œuvre au long d’une vie, parfois bien davantage dans certaines vies. Et, bien sûr, on comprend la colère : nous pouvons la ressentir face à des tranches de vie ô combien cruelles : l’absence d’affection d’une mère, la mort d’un père alors qu’on est encore enfant, la perte d’un enfant, la perte d’un mari alors que la guerre et les dures années qui s’en sont suivi se termine, qu’on était tous les deux encore jeunes, cette colère nous pouvons la ressentir face à la fin de vie. Dieu créateur oui, puisqu’il y a création. Jésus un homme admirable, le meilleur des hommes, unique et rayonnant. Mais le reste ! La religion ! Alors oui, c’est n’est pas le moindre des consolations de penser que Jésus a pleuré et pleure face à ces assauts de la mort au cœur même de la vie, parfois dès le début de la vie.
II. Prédication proprement dite :
Alors que retenir ce matin et à l’issu de ce culte de remerciement pour la vie de Simone ? Trois points
1. Reconnaître la nécessité de faire le deuil
Tout d’abord, nous ne sommes pas au-dessus de Jésus. Ne nous considérons pas au-dessus de Jésus dans notre réaction au chagrin. N’évacuons pas le deuil. Normalement, oui, notre travail de chrétien, c’est de nous dire, de vous dire de vous tourner vers la vie. Bien sûr. Sûrement. Mais dans une société qui évacue tout, qui ne veut pas voir, qui est déjà passée à autre chose, peut-être devons-nous tirer un peu dans l’autre sens. « Venons et voyons ». Il faut prendre ce temps du deuil.
2. Annoncer clairement l’espérance de l’Évangile
Deuxième point : nous venons de rentrer dans le temps de la Pentecôte. Nous venons de quitter le temps de Pâques, or qu’avons-nous célébré à Pâques ? Quelle est la bonne nouvelle de l’Évangile ? C’est la victoire de Jésus sur la mort. Que cela veut-il dire pour nous ? Pour nos morts ? L’espérance ce n’est pas la crédulité, ce n’est pas même l’espoir. L’espérance, ce n’est pas l’espoir. Je cite le pasteur Marc Pernot : « Ce n’est pas penser que les choses vont s’arranger —Elle ne s’arrange pas toujours—l’espérance c’est être sensible à une autre dimension qui fait que notre vie est gardée, [que la vie de nos morts est gardée], pour les vivants : que nous sommes dignes d’exister quoi qu’il arrive, [pour les morts que la mort n’atteint pas à leur dignité], n’atteint pas à leur existence. »[3] Fin de la citation. Nos cœurs en pleurs sont accueillis dans le cœur aimant de Dieu, et nous sentons confusément que nos défunts ont déjà leur place dans ce cœur aimant de Dieu et que depuis ce cœur aimant ils continuent et continueront de nous accompagner. « Viens et vois », nous dit Jean. Et que voyons-nous ? Et c’est cela l’Évangile : Nous voyons que la mort n’a pas le dernier mot.
3. Comment répondre à l’Évangile ?
Alors, et j’en finirai, dans les semaines à venir—et à l’avenir tout court—comment faire pour continuer de nourrir cette espérance ? Nous disions que Marie, dans son absolue confiance, attendait quelque chose de Jésus. Je crois comme Marie en l'amour inconditionnel de Dieu. Avant même sa venue dans le village de Béthanie, alors qu’il n’avait encore appris que la maladie de Lazare, Jésus l’annonce à ses disciples : « La maladie de Lazare n’est pas destinée à la mort. » Jésus, en revanche, sait qu’il risque sa vie s’il se rend si près de Jérusalem. Ses disciples le lui rappellent. Pourtant Jésus va vers lui—La nouvelle de la mort de Lazare leur parvient—Pourtant il se rend chez ses amies Marthe et Marie. Ce n'est pas parce que tout est donné, qu'il n'y a rien à faire. Ce n'est pas parce que Lazare est appelé à ressusciter que Jésus s’épargne les pleurs, le trouble, la colère, le voyage et le risque. L’Évangile met en mouvement et rapproche parfois de ce qui fait mal. Les soignants et les accompagnants le savent. Mais cela a une finalité positive. La foi, c’est ce qui permet l’action. L'assurance de la foi ne saurait nous détourner de l’action. Ce serait un contresens profond. C’est par nos actions –par l’amour du prochain en actes– que nous rendons grâce à Dieu. Amen
[1] Traduction Jean Zumstein, L’évangile selon saint Jean. Vol. 1: 1–12 (CNT 4a ; 4b) Genève, Labor et Fides, 2007 et 2014, p. 361.
[2] Jean Zumstein, op. cit., p. 376.
[3] « L’espérance ne consiste pas à penser que les choses vont s’arranger (elles ne s’arrangent pas toujours) ; l’espérance c’est être sensible à une autre dimension qui fait que notre vie est gardée que nous sommes digne d’exister quoi qu’il arrive. » (Marc Pernot, « Des trois immortels : 2/3 Ressusciter l’espérance (1 Corinthiens 13 ; Jonas 2:2-8) », https://jecherchedieu.ch/temoignages/des-trois-immortels-ressusciter-l-esperance-1-corinthiens-13-jonas-2/).