Théologie relationnelle : nœuds et tensions
Repérer les tensions de la relation
Je m’intéresse à la théologie relationnelle comme un espace de questionnement sur la transcendance et l’immanence, envisagées à travers la vie trinitaire et l’alliance divine-humaine. Plutôt que de proposer une synthèse, je cherche à identifier les nœuds théologiques qui émergent lorsque l’on pense la relation comme constitutive de l’être divin et de la vocation humaine. Deux dynamiques s’entrecroisent : le « devenir de Dieu » (un Dieu qui s’engage dans l’histoire, s’abaisse, appelle) et le « devenir Dieu » (l’humain invité à participer à la vie divine, notamment dans la theosis orthodoxe). La périchorèse trinitaire, comme modèle de communion sans confusion, éclaire ces questions, mais soulève aussi des tensions, particulièrement dans une perspective luthéro-réformée. Ce texte explore ces ambiguïtés sans prétendre les résoudre, interrogeant la possibilité d’une communion qui respecte l’asymétrie créateur-créature.
La périchorèse : un modèle trinitaire
La périchorèse, développée par les Pères cappadociens et Jean Damascène, désigne l’interpénétration des personnes divines — Père, Fils, Esprit — dans une unité sans confusion. Comme l’exprime Grégoire de Nazianze, la Trinité est une « monarchie qui n’est pas limitée à une seule personne » (Oratio 29). Ce concept suggère que Dieu est relation avant toute relation avec le monde : l’amour et la donation constituent son être. Mais appliquer la périchorèse à l’alliance divine-humaine est complexe. Si la relation Dieu-humain prolonge la logique trinitaire, comment éviter une symétrie illusoire ? L’humain, fini et dépendant, ne peut « habiter » Dieu comme les personnes divines s’habitent mutuellement. La périchorèse risque de rester une abstraction, sauf si elle est ancrée dans une christologie concrète.
Inclusion christologique : une relation éternelle ou historique ?
Une perspective réformée, particulièrement barthienne et luthérienne, complexifie cette réflexion. Pour Karl Barth, l’élection en Christ précède la création (Dogmatique, II/2) : l’humanité est déjà incluse dans le Fils, homo deus, dans l’éternité. Martin Luther, avec la justification par la foi, voit le Christ comme le médiateur éternel, imputant sa justice à l’humain (De la liberté du chrétien). Cette inclusion suggère que la relation est ontologiquement fondée avant l’histoire. Mais alors, pourquoi parler de « visitation » divine, comme si la relation s’initiait dans le temps ? L’incarnation révèle-t-elle une vérité éternelle ou établit-elle une nouveauté ? Ce nœud — entre l’éternité de l’élection et l’historicité de l’alliance — reste irrésolu. La « visitation » risque d’introduire une discontinuité, suggérant un processus là où Barth et Luther insistent sur une grâce déjà accomplie.
La theosis : une participation ambiguë
La theosis orthodoxe, telle qu’élaborée par Grégoire de Nysse, Maxime le Confesseur et la distinction palamite entre essence et énergies, envisage le salut comme une participation aux énergies divines, une transfiguration de l’être sans fusion avec Dieu. Cette perspective, qui transcende l’éthique morale, pose question dans un cadre réformé. Si l’humain est déjà ‘inclus’ dans le Fils, quel sens donner à une transformation progressive ? La theosis semble présupposer une synergie, où l’humain coopère à sa déification, ce qui heurte la priorité réformée de la grâce unilatérale. De plus, son langage ontologique (« transfiguration ») peut sembler spéculatif, particulièrement si l’on tient à maintenir l’asymétrie créateur-créature.
Une perspective réformée : l’unio mystica en question
Depuis ma perspective réformée, je m’interroge sur une relecture de la theosis à travers l’unio mystica calvinienne. Pour Calvin, l’union avec le Christ, opérée par la foi, restaure l’humain sans le diviniser (Institutes, III.11). Luther évoque un « échange admirable », où le Christ donne sa justice sans modifier l’essence humaine. Barth ancre cette communion dans l’élection éternelle. Mais cette union soulève ses propres tensions : si l’humain est déjà « dans le Fils », pourquoi parler de communion comme d’un événement ? L’unio mystica est-elle une reconnaissance de l’élection ou une transformation réelle ? Et comment articuler cette union avec la périchorèse, qui semble réservée à la Trinité ? Ces questions restent ouvertes, mettant en lumière l’écart entre l’éternité divine et la finitude humaine.
Un chantier de tensions
Ce questionnement ne vise pas à corriger les traditions patristiques ou réformées, mais à repérer les articulations, nœuds ou tension. La périchorèse offre un modèle de communion, mais son application à l’humain est incertaine. L’inclusion christologique fonde la relation dans l’éternité, mais complique l’idée d’une « visitation » historique. La theosis enrichit l’anthropologie, mais heurte la prudence réformée. Plutôt que de résoudre ces tensions, je propose de les tenir ensemble, explorant une théologie relationnelle qui, à la lumière de l’appel divin, honore l’écart entre l’éternel et le fini, sans prétendre le combler.