Et Dieu, c’est quoi son plan ?

Un autre post traite de savoir si Dieu "a encore la main sur demain" — c’est une autre question. Ici, il s’agit plutôt de poser cette question apparemment simple, mais en réalité embarrassante : Et Dieu, c’est quoi son plan ? D’ailleurs, il a un plan, ou il improvise ? Et s’il a un plan, est-ce un plan structuré, pensé, global ? Ou bien agit-il selon les circonstances, avec une logique plus souple, ou plus imprévisible ? Est-ce que l’histoire humaine s’inscrit dans un dessein ? Ou est-ce que Dieu accompagne les événements comme il vient, sans agenda préétabli ?

Le mot "plan" est sans doute piégeux. Il n’apparaît pas tel quel dans la Bible. On trouve des termes comme βουλή (boulē, volonté, dessein), πρόθεσις (prothesis, intention), ou οἰκονομία (oikonomia, gestion), mais peut-on tout de suite faire le lien avec le sens moderne.

Jérémie 29,11 semble aller dans ce sens :

« Je connais les projets que j’ai formés sur vous… projets de paix. »

Matthieu 6,34 semble dire tout autre chose :

« Ne vous inquiétez pas du lendemain… À chaque jour suffit sa peine. »

Moi je pense souvent à cette citation de Hölderlin, dans Dichters Beruf :

« Jusqu’à ce que l’absence de Dieu leur vienne en aide. »

Est-ce que le poète allemand envisage encore une autre possibilité ?

Alors Dieu a-t-il un plan… la réponse spontanée du croyant sera sans doute de dire qu’il veut réconcilier l’humanité et qu’il le fait en Jésus-Christ. C’est quand même la plus belle des nouvelles. Y a-t-il vraiment à aller chercher plus loin?

Les astuces pour piéger les astucieux

Ceux qui veulent aller plus loin que la révélation se heurte à des murs. La théologie a tenté de répondre avec l’idée du Deus absconditus, le Dieu caché (chez Luther notamment) : Dieu aurait un plan, mais il se dissimule. Il agit dans l’ombre, à travers des voies parfois contraires à ce qu’on imagine.

Peut-être ne sommes-nous pas satisfaits à raison. Cela mène à une autre notion, plus troublante encore, celle du mal, qui met Dieu en jugement (c’est la théodicée), voire l’opus alienum, l’"œuvre étrangère de Dieu", avec des tentations que régler les problèmes à la hâche : et si le mal faisait partie du plan ? (contre ce qu’on croit comprendre de la révélation) L’injustice, la souffrance des innocents, les violences structurelles… tout cela, on l’intègre dans une logique divine globale ? On n’est pas à ça près. Le dieu absent ou l’opus alienum deviennent alors comme ces formules toutes faites - bon un peu plus sophistiquées - que les adultes utilisent pour endiguer la curiosité des enfants,

« Si on te demande, tu diras que tu ne sais pas. », « Tu comprendras quand tu seras grand. », « C’est pour faire taire les petits curieux. »


La dernière astuce : et si on se passait de cette idée de plan ?

La dernière astuce pour ne pas trop s’embarraser, ça pourrait être de renoncer à l’idée de plan. Avec la meilleure des intentions, préserver la possibilité d’aimer Dieu sans le rendre responsable de tout. Mais est-ce que ça nous satisferait vraiment ? Est-ce que ce n’est pas, là encore, une manière de rester nous aux commandes, de penser Dieu à partir de nous, en lui épargnant d’être Dieu ?

Peut-être que cette question, “Dieu a-t-il un plan ?”, ne vaut pas par la réponse qu’on pourrait y donner. Mais parce qu’elle souligne au passage combien nous sommes prompts à écarter la révélation - claire, limpide, lumineuse, nourrissante – pour nous intéresser à des impasses que nous nous représentons comme des sujets plus consistants, plus constructifs, plus adultes. C’est presque un réflexe moderne : délaisser ce qui nous est donné pour spéculer sur ce qui nous échappe. Alors il faudrait peut-être, au fond, inventer de nouvelles formules — non plus pour faire taire les enfants, mais pour endiguer la curiosité des adultes quand elle s’épuise à tourner autour de son propre vertige. Ne faudrait-il pas alors inventer des formules pour endiguer la curiosité des adultes ? Alors puisqu’on a fait pas mal de latin, encore une formule fides quaerens intellectum, une foi qui cherche à comprendre, non pour détourner la révélation, mais pour y revenir. C’est peut-être cette troisième partie qu’on peut essayer d’entendre contre le vertige, pour y revenir, revenir à cette confiance.

Note : Ce post ne cherche pas à résoudre.
Il cherche à formuler la gêne, le décalage, l’inconfort, et peut-être le besoin d’un autre vocabulaire.
Quant à l’idée que Dieu n’aurait pas de plan ? Ou que son "plan" n’était pas une carte, mais une présence ouverte, sans itinéraire prévisible, un compagnonnage, non une stratégie, cette idée peut sembler vite écartée ici. Elle méritera d’être aussi prise au sérieux.

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