Tout est sacré… ou rien ?
La sacralité non localisée
Le protestantisme, surtout dans ses formes issues de la Réforme magistérielle (Luther, Calvin), rejette l’idée de lieux plus saints que d’autres. Cela découle directement du rejet de la sacralité cléricale, des pèlerinages obligatoires, des reliques, et d’un espace-temps hiérarchisé.
Le sacré dans le quotidien
L’idée que toute vie vécue devant Dieu — y compris le travail, la famille, les tâches simples — puisse être un acte de louange ou d’obéissance est profondément protestante (notamment chez Luther avec la doctrine des vocations, et chez Calvin dans l’idée de vivre coram Deo).
Le sacerdoce universel
Pour la Réforme, chaque croyant a accès direct à Dieu, sans médiation rituelle ou spatiale. Il n’y a pas de "lieu" où Dieu serait plus accessible qu’ailleurs, sauf peut-être dans la Parole.
Ce qui mérite d’être nuancé ou problématisé
Le mot “sacré” lui-même pose problème.
Le protestantisme s’est méfié du vocabulaire du sacré, car il est chargé d’une théologie catholique ou païenne des lieux, des objets et des médiations. On parle plutôt de ce qui est saint (sanctifié, mis à part par Dieu), et non de ce qui serait “sacré” par essence ou nature. Il y a une distinction protestante entre le profane sanctifié (par la vocation, l’obéissance, la foi) et un sacré immanent (type nature divinisée ou lieux “magiques”).
Le protestantisme ne dit pas que “toute la création est sacrée” dans un sens panthéiste ou romantique. Il insiste plutôt sur le fait que toute la création appartient à Dieu, qu’elle est bonne en tant que créée, mais aussi blessée par le péché, et en attente de rédemption (cf Rm 8). Donc, tout n’est pas “également sacré” — il y a encore des zones de chute, de violence, de rupture. Le monde est un chantier, pas un sanctuaire.
La spiritualité du quotidien protestante n’est pas une dilution du culte.
Certes, on peut rencontrer Dieu partout, mais le culte communautaire, la lecture de la Parole, la cène, la prédication restent des actes centraux, même s’ils ne sont pas confinés à un “lieu saint”. Donc on ne peut pas dire que tout est interchangeable ou que tous les espaces sont égaux dans la fonction liturgique.
Ce qui serait un peu trompeur
Le protestantisme n;est pas une sorte de pan-sacralité du quotidien. En réalité, la Réforme combat l’idée même d’un sacré diffus ou implicite, au profit d’un rapport éthique, parole-centré, eschatologique au monde.
Le protestantisme confond la valorisation du monde avec une sacralisation du monde. Pour la Réforme, ce qui rend quelque chose “saint” ou “signifiant”, ce n’est ni l’objet, ni le lieu, ni la beauté en soi, mais la Parole qui appelle, la foi qui répond, et la grâce qui sanctifie.
Donc, en résumé :
Oui, la vision d’un Dieu présent partout, d’un monde que l’on habite coram Deo, est profondément protestante.
Oui, le sacerdoce universel contribue à effacer la hiérarchie des lieux et des personnes.
Mais, le protestantisme ne sacralise ni la nature, ni les objets, ni le monde en lui-même. Il désacralise pour mieux sanctifier dans l’écoute et la foi.