Me connaître, ça serait déjà pas mal
Je ne demande pas la lune.
Je ne cherche pas à devenir parfait, éclairé, mystique.
Je voudrais juste me comprendre un peu mieux.
Pourquoi je réagis comme ça.
Pourquoi j’ai ces failles-là, cette fatigue-là, ce feu-là.
Ce que j’aime vraiment. Ce que je fuis. Ce que je cache, même à moi.
Me connaître, ça serait déjà pas mal.
Parce que parfois, j’ai l’impression d’habiter un corps et une histoire
sans en avoir les clés.
Alors je cherche.
Dans la thérapie, dans l’écriture, dans la mémoire.
Dans mes silences, dans mes échecs, dans mes attachements.
Je gratte. Je tire les fils.
Je veux comprendre.
Pas pour briller.
Juste pour que ça tienne.
Mais parfois, ça ne suffit pas.
Je me retrouve avec des morceaux de moi, bien décrits, bien analysés…
et aucune idée de ce que je dois en faire.
Comme si je savais nommer mes plis —
mais pas marcher avec.
Et là, une autre voix me revient. Ancienne. Sobre.
Une question posée à voix basse, il y a cinq siècles :
« Quel est le but de la vie humaine ? »
« Connaître Dieu. »
— Catéchisme de Genève, 1541
Je lis ça, et je me dis :
je n’ai même pas fini de me connaître, moi.
Alors Dieu…
On verra plus tard.
Et pourtant.
Est-ce que ça ne dit pas quelque chose que je n’ai jamais osé formuler ?
Est-ce que se connaître soi-même, sans jamais entendre un autre regard,
ce n’est pas prendre le risque de tourner en rond ?
Est-ce que je peux vraiment savoir qui je suis
sans jamais rencontrer quelqu’un qui me connaisse autrement que moi ?
Pas pour m’enfermer dans une étiquette.
Pas pour m’ordonner.
Mais pour m’ouvrir. M’éclairer. M’étonner.
Connaître Dieu — si c’est un verbe vivant, pas un dogme sec —
ça pourrait être ça :
être vu, compris, gardé… sans être réduit.
Peut-être que là aussi, quelque chose tiendrait.
Pas au lieu de la connaissance de soi.
Mais pour qu’elle respire.
Que veut dire “connaître Dieu” ?
Dans le protestantisme réformé, notamment chez Calvin, connaître Dieu n’est ni une affaire mystique abstraite, ni une accumulation de savoirs religieux.
C’est une relation vivante, fondée sur la foi, la révélation, et l’engagement de tout l’être.
Calvin le dit clairement dans l’Institution de la religion chrétienne (I,1,1) :
« Toute la sagesse que nous pouvons avoir, en tant qu’êtres humains, consiste en deux choses : connaître Dieu, et nous connaître nous-mêmes. »
Mais attention : pour lui, les deux connaissances sont liées, mais pas symétriques.
C’est la connaissance de Dieu qui permet la vraie connaissance de soi — pas l’inverse.
Connaître Dieu, c’est :
Reconnaître sa source → je ne me suis pas donné la vie à moi-même.
Recevoir une Parole qui me précède → ce que je suis m’est aussi révélé.
S’orienter dans l’existence → non plus à partir de mes repères uniquement, mais à partir d’une relation de confiance.
Entrer dans une fidélité, pas dans une fusion → Dieu ne me dissout pas, il me garde.
Découvrir sa propre valeur non par mérite, mais par grâce → ce que je vaux, je ne l’invente pas, je le reçois.
En tension avec “se connaître soi-même” :
Se connaître soi-même, c’est creuser en soi.
Connaître Dieu, c’est être ouvert à un autre regard que le sien.
Se connaître soi-même peut tourner à l’obsession, à la boucle.
Connaître Dieu peut devenir le point de fuite qui brise l’enfermement.
On en reste là ?
Connaître Dieu, se connaître soi-même : comment tenir ensemble ?
Le Catéchisme de Genève répond à la question « Quelle est la fin principale de la vie humaine ? » par cette formule brève :
« Connaître Dieu. »
Et Calvin lui-même, dès l’ouverture de l’Institution, précise que toute vraie sagesse repose sur deux connaissances :
« Connaître Dieu, et se connaître soi-même. »
Mais ces deux connaissances, bien que liées, ne sont pas symétriques :
pour Calvin, c’est la connaissance de Dieu qui ouvre la connaissance de soi, et non l’inverse.
Cette formulation mérite aujourd’hui une lecture critique, non pour la contester, mais pour mieux en discerner les implications dans une culture où la connaissance de soi est devenue une norme existentielle.
1. Risque d’une hiérarchie rigide
Dire que « seule la connaissance de Dieu permet de se connaître soi-même » peut, en contexte moderne, être entendu comme une annulation de l’expérience intérieure, ou comme un refus des ressources propres à l’humain pour se comprendre.
Or, dans la tradition biblique elle-même, il existe des expériences de Dieu qui émergent depuis la chair, la souffrance, la limite — et non depuis une connaissance révélée ou doctrinale.
Le récit de Job, les psaumes de détresse, l’expérience paulinienne de la faiblesse : tous disent qu’il y a des lieux où la parole de Dieu ne descend pas, mais remonte du gouffre.
On pourrait donc reformuler ainsi :
parfois, c’est la connaissance de Dieu qui ouvre à soi ;
parfois, c’est la faille en soi qui appelle un Autre.
2. Dieu ne parle pas “depuis l’extérieur” — mais il ne vient pas non plus “du dedans”
Opposer « se connaître soi-même » (intériorité) à « connaître Dieu » (altérité verticale) peut laisser croire que Dieu serait totalement extérieur, éloigné, voire étranger à l’intime. Or, dans la tradition réformée, Dieu est autre, mais il rejoint l’homme dans son histoire, dans sa conscience, dans son intériorité — par sa Parole et par l’Esprit.
Ce n’est pas l’intériorité psychologique qui donne accès à Dieu.
Mais c’est bien dans le cœur de l’homme, dans le lieu même de la foi, que Dieu atteste sa présence.
Il ne s’agit pas d’un face-à-face rigide, ni d’une fusion confuse.
Dieu parle. Il se donne à connaître.
Et cette parole peut toucher l’intime, sans jamais se réduire à lui.
Dieu rejoint, ouvre, transforme —
mais il ne réside pas naturellement en nous.
C’est par la foi seule, suscitée par l’Esprit,
que sa présence devient lumière et vie.
3. Connaître Dieu, ce n’est pas valider ce que je suis — c’est peut-être m’en libérer
Dans le langage contemporain, connaître Dieu pourrait être entendu comme obtenir une confirmation, une sorte de reconnaissance spirituelle de ce que je suis devenu, ou une validation bienveillante de mon identité.
Mais dans la théologie réformée, ce n’est pas le moi abouti que Dieu vient saluer.
Ce n’est pas une signature au bas d’une trajectoire.
La grâce n’est pas une approbation.
C’est une déclaration qui devance ce que j’ai pu construire.
Elle ne complète pas une quête de soi.
Elle la recommence à neuf, à partir d’une parole non méritée.
Et c’est précisément là que la connaissance de Dieu désenclave la connaissance de soi.
Elle ne l’annule pas.
Elle l’ouvre à plus grand, plus libre, plus vivant —
non pas en la réduisant, mais en la délivrant du devoir de se justifier elle-même.
Ce n’est pas un ajout, ni un regard extérieur.
C’est une libération intérieure, suscitée par une Parole qui ne ment pas, et ne flatte pas non plus.
Faut croire quoi ?
La tension entre « se connaître soi-même » et « connaître Dieu » n’a pas à être résolue.
Elle doit être habitéée, précisément parce qu’elle structure la relation.
Connaître Dieu, ce n’est pas accéder à un savoir extérieur, ni s’effacer soi-même.
C’est accueillir un regard qui précède le mien, qui ne me capture pas, mais me garde.
Ce n’est pas un “sois autre”.
C’est un “viens te voir autrement” — dans une lumière qui ne ment pas,
et qui ne se retire pas.
Merci pour ta précision. Voici ton texte, mis en forme strictement à partir de tes mots, sans ajout, sans reformulation — seulement une mise en page respirée et fidèle à ton style :
Et même cette question “Faut croire quoi ?”
Croire, ça veut dire mettre sa confiance en,
comme credo in Deum du début du Symbole des Apôtres.
Je crois en Dieu,
je mets ma confiance en Dieu.
Ce n’est pas faire une liste des choses auxquelles on doit croire.
Oui, on dira :
« Voilà ce que nous confessons.
Voilà ce que nous avons reçu.
Voilà ce qui nous porte. »
Tu vois le nous qui réapparaît —
et non le je.
Voilà pourquoi croire, ce n’est pas répéter.
C’est entrer dans un dialogue.
Je mets ma confiance en.
Parfois, c’est un combat.
Une fidélité, disons, un peu rugueuse.
Alors, faut croire quoi ?
Peut-être quelque chose
qui résiste à la simplification.
Peut-être quelqu’un.
Peut-être pas tout de suite.